De retour en Ile-de-France, nous allons dans le 93, à la rencontre de Sabry, éducateur des U18R3 et des U13R, à l’AF Epinay-sur-Seine, club de son coeur ou il a été joueur, mais également son père qui a été joueur et éducateur. Bien plus qu’un club, une histoire de famille !
Bonjour, est-ce que tu peux te présenter rapidement ?
Je m’appelle Sabry, j’ai 31 ans, je suis né et j’ai grandi à Epinay-sur-Seine. J’ai toujours joué là-bas, en régional et départemental. Je me suis tourné vers le coaching à 20 ou 21 ans et jusqu’à aujourd’hui.
Tu as joué à Epinay, tu y es maintenant éducateur, est-ce particulier de coacher dans sa ville, son club ?
C’est une fierté. J’ai un attachement à la ville, mon père a le même parcours que moi, il est né à Epinay et y a été joueur et éducateur. C’est familial pour moi. Les personnes avec qui je coach actuellement, soit je les ai vues jouer plus jeune, soit ils m’ont entraîné. Ce qui serait particulier, c’est si je quitte un jour Epinay, je ne crois pas que je m’adapterais !
Qu’est-ce qui t’as poussé à vouloir être éducateur ?
Je vais dire une dinguerie (rires) ! Je venais de finir mon année en U19 et le coach m’a vu me disputer au bord du terrain. Et pour me punir, il m’a dit de venir avec lui faire la touche, c’était Mamadou Karamoko (actuel ditecteur technique, NDLR). Depuis je n’ai pas lâché. L’année d’après j’ai pris les débutants, puis j’ai eu un gros accident qui a fait que je ne pouvais plus du tout jouer au foot, et je me suis lancé à fond dans le coaching. Ça m’a beaucoup calmé et assagi.
Quel est ton parcours en tant qu’éducateur ?
J’ai commencé par les U7 et les U19 en parallèle mais vraiment en soutien de Mamadou pour apprendre. Après mon retour de l’accident, j’avais la réserve des U13 R. Par la suite, Gaoussou Karamoko a bien aimé ma façon de travailler et m’a pris avec lui pour les U13 R avec la génération 2006. J’ai tout appris sur le tas avec l’aide Gaoussou. J’ai eu plusieurs catégories par la suite, U14 C, U14 B, U16 B, U16 C. Cette année je me retrouve avec les U18 R3, mais aussi avec les U13 R, en appui de Gaoussou, encore une fois. J’ai l’humilité de me dire qu’il faut débuter par les plus jeunes ou les équipes réservés avant d’envisager d’entraîner à de bons niveaux.
Quelles différences tu as remarqué dans la gestion d’un groupe selon l’âge des joueurs ? Sur le plan humain et football.
Ça dépend des générations. Cette année par exemple, je me rends compte que le niveau de compréhension et la vitesse d’assimilation sont plus grands chez les U18 malgré l’idée reçue. On a par exemple eu besoin de tout changer en cours de saison pour relancer la machine, et tout le monde s’est adapté en une semaine, alors qu’avec les plus petits il faut être plus patients et pédagogues. Il faut bien évidemment être pédagogue avec les U18 aussi, mais je ne m’adresse pas de la même manière aux joueurs selon leur âge. Chez les plus jeunes, je suis plus dans la « câlinothérapie » et la tendresse. Avec les U18, je suis plus direct. On se connaît déjà de l’extérieur et j’ai eu beaucoup d’entre eux sous mes ordres par le passé également. J’ai déjà eu des discussions profondes avec eux sur mes méthodes. Ce sont vraiment des adultes.
Cette année tu as les U18 R3, vous êtes actuellement 3èmes, quel est l’objectif ?
C’est la montée, même si on s’est manqué ce week-end en faisant match nul dans des conditions difficiles. On se retrouve à 5 points des premiers à 6 matchs de la fin, ce sera compliqué mais on va s’accrocher, on essayera de gagner les rencontres restantes. La montée était l’objectif en début de saison, mais à mi-octobre ce n’était plus du tout le cas, on était avant-derniers. Mais la fierté du staff et des joueurs a fait qu’on n’a pas arrêté de travailler, on leur a inculqué des valeurs de résilience. On a beaucoup réfléchi avec le staff pour sortir de cette situation et c’est une grande satisfaction de s’être sortis de cette mauvaise passe.
Comment tu as constitué ton groupe ?
Beaucoup étaient déjà au club. C’est un groupe qui avait réalisé l’an passé la montée de U17 R2 à U17 R1, on a gardé ce noyau. Au niveau du recrutement, on a fait venir deux ou trois joueurs qui étaient en U17 R2 et allaient jouer en U18 D2 dans le Val d’Oise et deux joueurs qui n’avaient plus de club.
Est-ce qu’il y a des points sur lesquels tu insistes en particulier lors de tes entraînements ? Ou des valeurs importantes dans ton discours ?
D’une année à l’autre cela peut changer. Ce qui est bien dans notre staff c’est qu’on se complète. Ce qu’on fait cette année n’a rien à voir avec ce qu’on a pu faire la saison passée où on insistait plus sur le volet caractère alors que cette saison on met la tactique au centre de nos préoccupations. Actuellement, on joue dans un système sans ailiers, ce qui est plutôt rare. Donc on a beaucoup travaillé tactiquement par rapport au jeu de position notamment et ça marche plutôt bien. Mais ça ne veut pas dire que nous ferons la même chose la saison prochaine, on s’adaptera à nos joueurs.
Est-ce que tu as des idées de jeu auxquelles tu tiens et que tu veux inculquer à tous tes groupes, ou bien tu t’adaptes à tes joueurs ?
Je m’adapte. Après généralement, j’aime que mes équipes aillent chercher haut. Cela évite de faire des courses inutiles pour plusieurs raison : tous les joueurs ne sont pas au top physiquement au niveau où nous jouons et cela empêche les sorties de balle adverses et permet de profiter des erreurs techniques de leur défense. Au niveau du dispositif, en revanche c’est vraiment en fonction des joueurs. Par exemple, cette année, on avait commencé en 4-3-3 et après une défaite 7-0 en Coupe Gambardella on l’a vite abandonné pour passer en 4-4-2 à plat et cela a apporté une vraie discipline. Il faut cependant régulièrement reprendre les joueurs car ce n’est pas grâce au système qu’on gagne, ce n’est pas acquis.
Quel est le rythme des entraînements et le contenu des séances ?
Il y a trois entraînements par semaine : Lundi, mercredi, vendredi. Lundi c’est censé être une séance de décrassage, mais vu l’envie des joueurs, cela devient une séance classique. Le mercredi c’est là où on appuie le plus, notamment physiquement et le vendredi nous préparons le match du week-end.
Comment est constitué le staff ?
On est trois coaches et chacun a son domaine de prédilection. Sadio s’occupe du travail physique, Judicaël dirige les séances et tranche sur les décisions et moi je m’occupe de la partie tactique et des coups de pieds arrêtés. Cette organisation fonctionne très bien depuis 2 ans.
Est-ce que tu utilises la vidéo ?
Tous les matchs à domicile sont filmés et on les revoit. On n’a pas de séance vidéo à proprement parlé, faute de temps. Nous faisons des retours individuels aux joueurs et insistons pour qu’ils regardent tout ce qu’ils ont fait au cours du match, notamment leurs erreurs, pas uniquement les buts.
L’AF Epinay commence à être un club qui compte, on le voit avec les cas Sael Kumbédi (OL, 2005), Senny Mayulu (PSG, 2006), Aboubaka Dosso (Primavera Frosinone, 2006), Mamadou Coulibaly (AS Monaco, 2004), Tara Elimimbi (PSG feminines, 2006), qui sont professionnels ou proches de l’être quels sont les ingrédients de cette réussite ?
C’est le travail dès l’école de football. Il faut mettre une méthode de travail commune à toutes les catégories car sinon, nous perdons les joueurs. Le fait d’avoir des éducateurs complets qui tirent tous dans le même sens compte également. On a aussi la chance d’avoir peu de parents vraiment compliqués. Après, ces joueurs sont uniques. Ce n’est pas parce qu’ils sont issus de chez nous que forcément en inscrivant son enfant à l’AF Epinay il s’en sortira de la même manière. Ils ont énormément travaillé et avaient un talent inné.
Des U14 aux U18, toutes les équipes 1 jouent en ligue (R2 ou R3), que manque-t-il à ton avis pour arriver en R1 ou en nat ?
Difficile à dire … On a la chance que toutes nos équipes U14, U16 et U18 jouent la montée. Pour atteindre le meilleur niveau je pense qu’il faut être patient et ne pas bruler les étapes. Se retrouver en R2 est une bonne chose, il faudrait s’y stabiliser. Nous ne sommes pas les seuls à bien travailler dans notre périmètre. Un club comme Ermont par exemple qui n’a que les séniors et les U14 en Ligue travaille très bien. A titre d’exemple, nous étions en U16 R1 l’an passé et sommes directement descendus mais nous jouons de nouveau la montée. Il faut de l’humilité et du travail à mon sens.
L’AF Epinay se trouve dans le même secteur que des clubs tels que le Racing, le Red Star, l’AAS Sarcelles ou le RC Argenteuil, comment faire avec cette concurrence chez les jeunes ?
Dans un premier temps on essaye de fidéliser nos joueurs. On accorde de l’importance aux jeunes qui évoluent dans les équipes B ou C dans les petites catégories car ce sont eux qui jouent dans les équipes premières en U16 ou U18. Donc en école de foot il faut que cela travaille aussi bien dans le pôle élite que le pôle espoir. Autour de nous, il nous est quasi-impossible de concurrencer Sarcelles, Argenteuil évolue généralement une division au-dessus de nous et le Racing attire également beaucoup nos petits dès 12 ou 13 ans. D’où l’intérêt d’apporter de la considération à tout le monde.
Généralement les jeunes évoluant à l’AF Epinay sont originaires de la ville ?
Il y a une grande majorité de spinassiens, si je devais donner un pourcentage je dirais 70%. D’autres ne sont pas issus de la ville mais évoluent au club qu’ils 7 ou 8 ans. On attire dans les villes proches, comme Saint-Denis.
Pour revenir à toi, est-ce qu’il y a un entraîneur dont tu t’inspires ?
Marcelo Bielsa toujours ! Ancelotti aussi, mais pas spécialement d’un point de vue footballistique. C’est surtout au niveau du calme. A mon sens, cette sagesse a un rôle important dans les accomplissements du Réal Madrid.
Comment tu te comportes sur le banc ? Plutôt calme ou bouillant ?
Auparavant j’étais plutôt nerveux, mais c’était dû à l’inexpérience. Mais ce n’était pas dirigé envers mes joueurs de qui j’ai toujours été proche, dans un rôle de grand frère, je n’ai jamais eu de tension avec l’un d’entre eux. Ma colère était le plus souvent dirigée contre les arbitres ou les coaches adverses. Le fait d’être entouré de personnes plus âgées m’a beaucoup appris. Par exemple, Sadio est extrêmement calme. C’est pour moi le meilleur éducateur du club, dans lequel il est depuis une dizaine d’année. En plus de son travailleur d’animateur à la ville. Aujourd’hui, je suis bien plus serein, même si je ressens de l’injustice de la part du corps arbitral, je ne reponds plus.
Quels sont tes objectifs personnels pour la suite ?
Je vis au jour le jour. Je suis au service du club. Peu importe le niveau. Si le club doit se structurer et que pour cela, je dois prendre en main une équipe C, cela ne me dérange pas, je l’ai déjà fait d’ailleurs et cela a porté ses fruits et crée de bons joueurs. Je n’ai pas le projet d’entraîner le plus haut possible, je ne quitterai pas Epinay, à part bien évidemment si un club peut changer ma vie (rires). Epinay, c’est mon club, ma ville. Même si cela me prend du temps dans ma vie privée, j’irai là où le club me demande pour aider les enfants de la ville.
Un dernier mot ?
Pour tous les éducateurs, on vit une période compliquée, et c’est à nous de remettre les choses dans l’ordre. Les jeunes progresseront par le plaisir et par le jeu, on ne doit pas leur mettre de pression. Faire en sorte que cela se passe le mieux possible avec les parents pour avoir une relation propre avec eux. Avoir également des relations seines entre les clubs, à la fin c’est la région et le département qui gagnent, aujourd’hui, il y a 14 joueurs formés en Seine-Saint-Denis dans le dernier rassemblement des différentes équipes de France. A la fin ce seront nos enfants, nos petits frères, nos petites sœurs qui gagneront !
Interview réalisé par Yanis