Gérer la concurrence entre ses gardiens est un défi délicat auquel de nombreux entraîneurs sont confrontés, que ce soit dans les clubs amateurs ou professionnels. Le poste de gardien de but, souvent considéré comme “unique”, suscite des attentes particulières, sous couvert de dernier rempart, tant sur le plan physique que mental. Contrairement aux joueurs de champ, la rotation est plus rare et la stabilité dans les cages est cruciale pour la confiance de l’équipe. Dans cet article, nous abordons pour vous comment instaurer une concurrence saine et méliorative sans créer de tensions inutiles ? Comment garder son gardien titulaire au plus haut niveau sans démotiver le gardien remplaçant ?
Nous avons décidé de faire un tour d’horizon afin de mieux comprendre cette concurrence, sa gestion et les intérêts pour l’équipe de bien travailler et traduire la dualité qui s’offre aux gardiens.
Une communication claire dès le début
“Ça fait partie de l’aspect psychologique, il faut établir une hiérarchie, on ne peut pas jongler avec des gardiens […] Il faut que chaque joueur ait sa place, pour que chacun sache à quoi s’en tenir”. André Biancarelli – Ancien entraîneur des gardiens du Dijon FCO en 2023.
Avant même que la saison ne commence, il est crucial que l’entraîneur établisse une communication claire avec ses gardiens. Cette transparence permet de désamorcer toute frustration et de prévenir les malentendus qui pourraient miner la cohésion du groupe et les capacités de ses gardiens. Il est essentiel que chaque portier comprenne son rôle au sein de l’équipe, qu’il s’agisse du titulaire ou du remplaçant. L’entraîneur doit expliquer les critères de sélection, que ce soit l’ancienneté, les performances à l’entraînement ou encore les exigences spécifiques du championnat où évolue l’équipe.
Une communication ouverte et honnête permet aux gardiens de se préparer mentalement et de savoir de quoi sera composées les semaines et mois à venir, tout en maintenant une compétition saine. La communication entre l’entraîneur général et l’entraîneur des gardiens est primordiale pour que le décisionnaire puisse prendre le bon choix au moment de créer sa composition.
Le rôle de l’entraîneur des gardiens dans la concurrence
« Le paradoxe de mon rôle, c’est que je dois faire en sorte que mon numéro 1 reste numéro 1 et continue d’être le meilleur. Mais aussi que mon numéro 2 travaille assez fort et devienne meilleur que mon numéro 1 pour prendre sa place » Rémy Vercoutre – Entraîneur des gardiens de l’Olympique Lyonnais.
L’entraîneur des gardiens joue un rôle central dans la gestion de la concurrence au sein de ce poste si particulier de gardien de but. En tant que spécialiste du poste, il est à la fois un mentor technique et un médiateur, veillant à ce que la compétition entre les gardiens reste constructive.
Il est l’interlocuteur privilégié des portiers, comme un confident dans ce monde si particulier du gardien de but, et sa proximité avec eux lui permet de mieux comprendre leurs forces, leurs faiblesses et leurs états d’âmes et d’esprit. Son rôle consiste non seulement à perfectionner les compétences individuelles de chacun, mais aussi à créer un environnement de travail avec des séances dans lesquelles chaque gardien se sent soutenu et sur une phase évolutive, qu’il soit titulaire ou remplaçant. Grâce à une gestion et à un dialogue constant, l’entraîneur des gardiens peut canaliser cette concurrence pour en faire un levier de progression plutôt qu’une source de tensions, tout en maintenant un équilibre essentiel pour le bien de l’équipe.
Une concurrence mal gérée peut déstabiliser un groupe
“C’est toujours bon d’avoir de la concurrence, mais sur le plan personnel, tout n’est pas agréable” Keylor Navas – International costaricien et ancien gardien en concurrence avec Gigi Donnarumma au Paris Saint-Germain.
Par chance, la gestion de la concurrence entre Donnarumma et Navas s’est déroulée sans tension lors de la saison 21/22 sous Mauricio Pochettino. Il y a néanmoins certains cas mondialement connus où l’entente ne fut pas aussi bonne. Pendant plusieurs saisons, Marc-André ter Stegen, titulaire au FC Barcelone et Jasper Cillessen, son remplaçant, ont connu une alternance compliquée entre championnat et coupe. Après deux saisons à ne disputer que les matchs de coupe, Cillessen souhaite partir lors de la saison 2018/2019 à la recherche d’un temps de jeu plus conséquent.
Face aux médias, le gardien allemand Marc-André ter Stegen n’a pas fait preuve d’empathie et a même défendu sa place de titulaire face aux médias : “Je comprends qu’il veuille jouer plus, mais moi aussi, au début, je souhaitais être numéro 1 et jouer tout le temps. Tout le monde le sait au club, le futur de Jasper ne dépend que de lui”. Une fin de collaboration sous fond glacial avec le départ de Jasper Cillessen en direction du FC Valence.
Le poste de gardien nécessite équilibre, confiance et surtout des repères solides avec la défense. Avec une rotation trop importante, un déséquilibre peut se créer et ne pas seulement impacter le joueur qui se tient entre les poteaux, mais l’ossature générale sur le terrain.
La gestion psychologique du rôle attribué
“Les numéros 2 sont des joueurs avec lesquels il faut fixer des objectifs à long terme” Cécile Traverse – docteur d’université en Staps en psychologie du sport.
Demandez à un gardien s’il préfère avoir un match facile sans arrêts à réaliser ou avoir les gants qui chauffent, la réponse ne se fait pas attendre. Le numéro un et son second n’ont pas la même gestion psychologique à avoir, l’un est conditionné pour gérer son efficacité sur le terrain, l’autre doit être toujours prêt à entrer en jeu en cas de blessure ou d’expulsion.
La patience est sûrement la qualité première d’un second gardien en plus d’influencer le développement sportif et personnel. Un second gardien qui ne maintient pas sa concentration et son engagement dans son rôle pourra engendrer de nombreux aspects négatifs : un titulaire qui diminue son effort aux entraînements, un groupe qui ressent un trop gros écart lors des oppositions, un isolement pouvant entraîner un départ…
Par rapport à un ailier ou un milieu, le gardien fait face à un ennemi dangereux : l’inactivité. N’étant pas dans le cœur du jeu, le gardien peut vite ruminer des actions dans sa tête, comment il aurait pu mieux gérer telle ou telle situation. Keylor Navas a abordé le sujet d’une concurrence peu agréable sur le plan personnel et il parle en connaissance de cause, après avoir connu une bascule au poste avec la montée en puissance de Gigi Donnarumma. Là où il faut des objectifs long terme pour les numéros 2, il a connu cette position à 35 ans, le forçant à trouver un projet en Angleterre après seulement 2 matchs de coupe de France disputés avec le club de la capitale.
L’œil de l’expert : Interview de Maxime Lenormand
En tant qu’entraîneur des gardiennes au centre de formation du Paris Saint-Germain, quel est ton rôle dans la décision de la titulaire et la remplaçante ?
Maxime Lenormand : Je pense que le rôle de l’entraîneur des gardiens est d’apporter son expertise du poste à l’entraîneur principal, qui va ensuite déterminer qui est numéro 1 et qui est numéro 2. Mais ce n’est pas à l’entraîneur des gardiens d’établir la hiérarchie.
Pour bien travailler au quotidien, nous avons besoin d’un climat d’entraînement serein. Il faut également tenir le discours le plus honnête possible vis-à-vis de ses gardiens.
Est-ce que tu es favorable à la mise en place d’une hiérarchie pour créer de la concurrence ?
M.L : Concernant la concurrence, je suis favorable à l’instauration d’une hiérarchie claire dès le début de saison. Pour que le collectif soit performant, il est important de créer des automatismes entre le gardien et sa défense.
Par exemple, si vous avez un gardien gaucher et un autre droitier, cela peut compliquer les choses en cas d’alternance le week-end. Les caractéristiques des gardiens doivent par ailleurs être prises en compte, l’idée étant de coller au maximum avec le projet de jeu de l’équipe. Si votre jeu est essentiellement basé sur la possession, il sera compliqué de passer d’un gardien très à l’aise au pied avec un gardien dont ce n’est pas le point fort.
Étant favorable à la hiérarchie, comment vois-tu le travail avec un numéro un établit et un numéro deux ?
M.L : Il faut trouver le difficile équilibre entre donner suffisamment de confiance au gardien numéro 1 et ne pas totalement démotiver le numéro 2. Si un gardien joue avec la crainte de faire une erreur, car il sera remplacé, son niveau de performance ne sera pas optimal.
À l’inverse, il ne repoussera pas ses limites s’il est installé dans un fauteuil dont il ne peut être détrôné. Cela me paraît essentiel d’ouvrir la porte au deuxième gardien, qui doit pouvoir prendre part aux matchs de coupe pour se montrer par exemple.
En conclusion, gérer la concurrence entre ses gardiens est un exercice d’équilibriste à haut risque pour tout entraîneur qui a le choix. La stabilité sur ce poste est primordiale pour la confiance de l’équipe, mais il est tout aussi crucial de maintenir une dynamique saine entre les portiers, tant au niveau technique que psychologique. Une communication claire dès le début de la saison, associée au rôle clé de l’entraîneur des gardiens, permet d’installer une hiérarchie sans générer de tensions destructrices. En revanche, une mauvaise gestion de cette dualité peut déstabiliser l’ensemble de l’équipe, affecter les performances et provoquer des départs non souhaités. L’objectif est donc de transformer cette concurrence en un moteur de progression, où le numéro un reste performant et le numéro deux motivé à chaque instant, prêt à saisir sa chance.