Interview d’Azir

par Le Mag de l'Educateur

La France est l’un des terreaux les plus fertiles en talents dans le football mondial. A cet égard tous les scouts épient les 4 coins de l’Hexagone.  Pour ce nouvel entretien, le Mag de l’éducateur a pu échanger avec l’un des observateurs les plus suivis de la Twitossphère. Son œil aiguisé et ses analyses fines et précises font d’Azir aka @CarterChine un acteur connu et reconnu. Après avoir quadrillé le sud-est de la France en long et en large, l’ambassadeur du football made in hazi vient scruter l’Ile de France.

Sans plus attendre place à l’échange !

 Salut Azir, peux-tu te présenter sommairement aux personnes qui vont lire cet entretien ?
Salut Rafik, je suis Azir, marseillais, joueur pendant une dizaine d’années dans le milieu amateur uniquement en jeune. Je n’ai jamais franchi le cap du football senior. J’ai également une petite expérience en tant qu’éducateur dans le club de mon quartier, uniquement pour le football à 8.

En parallèle, aussi bien en tant que joueur qu’éducateur, j’ai toujours regardé ce qui se faisait ailleurs, par passion. Cela fait maintenant de nombreuses années que je sillonne le milieu du football amateur à Marseille, et de manière plus large avec les catégories de jeunes des clubs professionnels du sud-est.

Aujourd’hui, n’étant ni éducateur ni joueur, je suis un suiveur, puisque mon cheminement professionnel et personnel m’a permis d’avoir une expérience dans le journalisme. Grâce à cette activité, j’ai pu continuer à suivre le football de jeunes sur le même secteur géographique. Depuis septembre 2022, j’ai dû rejoindre l’Île-de-France, je suis donc dorénavant le football francilien.

Avec cette « migration », quels sont les points communs et les différences que tu constates entre le foot du sud-est et celui de l’Île-de-France ?
Le point commun, qui n’aura rien d’original, c’est la passion pour le football qui habite les quartiers et les communes populaires. En Île-de-France, on raisonne davantage en termes de commune plutôt que de quartier.

Avec le peu de recul que j’ai – car je suis sur le territoire depuis moins d’un an -, les différences notables que je vais relever ne vont pas, une nouvelle fois, faire preuve d’originalité. C’est le plus gros vivier de joueurs talentueux en France et l’un des plus gros dans le monde. C’est lié en partie à une donnée démographique : le bassin francilien étant le plus important en France, il est statistiquement normal que dans cette région, le sport le plus populaire français voie ses talents les plus prometteurs éclore.

En termes de profils, j’ai l’impression qu’il y a une variété plus importante que ce qu’on peut retrouver dans le sud. Plus encore, je constate que certains profils sont plus rares à trouver dans l’arc méditerranéen. Ici, les joueurs sont plus matures athlétiquement et plus galbés pour le football senior et de bon niveau.

Le bémol se porte sur le plan collectif. J’ai vu très peu d’équipes qui m’ont vraiment titillé en termes de sensibilité, où l’on sent une vraie identité de jeu, de vraies ambitions dans la construction. Dans le sud, j’en ai vu un peu plus. Encore une fois, ce que je dis est à mesurer, car cela fait moins d’un an que je suis ici, je pourrais être plus précis avec plus de rencontres suivies.

Quand j’échange avec des collègues qui sont originaires de la région, qu’ils soient éducateurs ou conseillers sportifs, on se rejoint sur certains points.

« Beaucoup de clubs amateurs qui jouent à un bon niveau ont une pression du résultat. On peut romantiser comme on veut sur Twitter, mais en U19 nationaux il faut engranger des points »

Tu constates donc du mimétisme dans les idées de jeu des équipes que tu as suivies ?
Oui, mais c’est à nuancer. L’échantillon est restreint. Cette année, je me suis cantonné aux catégories U17-U19 nationales et un peu de seniors avec FC93 en N2, ainsi que quelques rencontres des U15 de Montfermeil et de Sarcelles. J’ai encore beaucoup de terrains à explorer : le foot à 8, les U14 et les autres niveaux de seniors.

Concrètement, j’ai constaté des principes forts de jeu avec le PSG, mais qui est un cas à part. Tu sens quasiment que c’est du tableau noir quand tu assistes à un de leurs matchs. On sent des principes de jeu qui sont ancrés et transmis depuis plusieurs années aux jeunes.

Toutefois, la majorité des équipes évoluent de la même manière : équipe costaud, construction pas très élaborée, mais le style de jeu va mettre en avant les joueurs qui sont rapides, percutants et qui vont faire des différences individuelles, notamment sur les côtés. Beaucoup de verticalité, moins de construction et de redoublement de passes.

 C’est assez intéressant ce que tu soulignes, car on se rend compte depuis plusieurs mois voire plusieurs années que les clubs allemands, qui sont férus du jeu que tu décris, viennent scouter de plus en plus en Île-de-France et signer des joueurs de plus en plus jeunes. Peut-on y voir un lien de cause à effet ?
Totalement. Ce n’est vraiment pas surprenant que les clubs allemands viennent puiser dans le vivier d’Île-de-France, car comme tu l’as dit, leur style de jeu correspond de manière générale parfaitement aux profils et au jeu proposé dans la région.

Des joueurs capables de percuter, d’attaquer les espaces, d’attaquer la profondeur de manière tranchante… on en voit à foison, et ce sont des profils qui font fureur en Bundesliga. C’est du pain béni pour les clubs de Buli, qui n’ont plus qu’à fignoler leur formation.

Que ce soient les attaquants ou certains latéraux, c’est un régal pour les recruteurs et dirigeants d’outre-Rhin !

C’est peut-être une volonté des clubs d’axer sur ces profils afin de s’assurer des transferts et de renforcer la passerelle germano-francilienne ?
Peut-être est-ce aussi une question de moyens et de temps pour installer un jeu élaboré. Beaucoup de clubs amateurs qui jouent à un bon niveau ont une pression du résultat. On peut romantiser comme on veut sur Twitter, mais en U19 nationaux, il faut engranger des points. C’est encore plus marqué dans les clubs amateurs, dans lesquels la catégorie qui évolue au niveau national est la vitrine du club.

C’est donc compliqué sur une saison de mettre en place un jeu élaboré, car cela nécessite plus de temps pour en voir le résultat sur le rectangle vert. Par conséquent, on s’appuie sur les qualités fortes de nos joueurs.

 

« En mettant toutes les pièces du puzzle en place, on se rend compte finalement que la formation et l’OM, c’est une histoire d’amour qui n’a jamais commencé »

Repartons maintenant dans une zone que tu connais beaucoup mieux. Il y a un serpent de mer sur la formation à l’OM. On sait que c’est une histoire d’amour compliquée entre les deux, on a très peu de joueurs du bassin marseillais qui ont été formés et qui ont porté le maillot de l’équipe professionnelle. On note aussi très peu de liens entre l’OM et les clubs amateurs de la région. Comment expliques-tu cela et que faudrait-il selon toi mettre en place pour corriger le tir, et empêcher les talents de la région d’aller exploser hors de la cité phocéenne ?
Pour moi, la principale raison est tout simplement que l’OM a délaissé sa formation pendant plus d’une décennie ou ne l’a pas considérée comme une priorité. Cela peut peut-être surprendre les plus jeunes, mais pendant quelques années, Marseille occupait une place forte sur l’échiquier financier du football français et avait donc les moyens d’investir sur des joueurs aguerris et d’un certain calibre. Par conséquent, on investissait moins dans la formation en se disant que si un joueur émergeait, tant mieux, mais elle n’était pas incluse dans la politique sportive.

Certes, le vivier est moins important qu’en Île-de-France, aussi bien en nombre qu’en qualité, c’est indéniable, mais il est largement suffisant pour sortir régulièrement des joueurs importants.

C’est assez paradoxal car dans l’histoire du club, on a l’épopée des minots qui sauve le club et qui permet d’enchaîner sur la période dorée de Tapie.

Entre temps, d’autres clubs ont mis l’accent sur la formation, comme l’AS Monaco, le FC Nantes, l’OL avec les débuts d’Aulas aux manettes, le FCSM et Auxerre, qui ont pris de l’avance sur les infrastructures, la détection, le logement, la scolarité et toutes les dimensions qui font qu’un centre de formation est de qualité. Depuis, l’OM essaie tant bien que mal, de manière sporadique, de rattraper son retard, mais cela est irrégulier en raison du turn-over des dirigeants.

Par conséquent, au gré des dirigeants, la vision de la formation change, et c’est compliqué d’obtenir des résultats probants sans une planification pluriannuelle et une vision à long terme.

Aujourd’hui, les acteurs de la région se disent qu’en signant à l’OM jeune, les chances de signer un contrat pro sont très faibles. C’est déjà difficile en soi, mais encore plus en rejoignant le Campus de l’OM.

De 2000 à 2010, il y a eu des bruits de couloir sur le fait de passer par les « bonnes personnes » pour intégrer le centre ou évoluer dans des clubs précis. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout le cas.

Donc en mettant toutes les pièces du puzzle en place, on se rend compte que la formation et l’OM, c’est une histoire d’amour qui n’a jamais commencé.

Avec l’arrivée de McCourt et le projet « Next Generation », j’ai commencé à y croire et à donner sa chance au produit, mais il s’avère que ça a fait « pschitt ».

Sans transition, quand tu regardes un match, qu’est-ce que tu observes en premier chez un joueur et te fait dire qu’il se démarque des autres ?
La première chose que j’observe, c’est la première touche. Beaucoup de suiveurs disent que la première touche ne ment jamais.

Avec le temps, mon œil s’est affiné et j’aime bien regarder la réaction à la perte, même si elle est liée à un cadre collectif.

Concernant un ailier, j’observe par exemple son attitude quand l’action se déroule à l’opposé, comment va-t-il se positionner dans l’action alors qu’il se situe loin du réacteur ?

Pour finir, l’attitude comportementale m’intéresse beaucoup : vis-à-vis de l’arbitre, de ses coéquipiers, de son staff, la réaction vis-à-vis du public quand il y en a.

Qu’est-ce que tu considères comme rédhibitoire ? Sans vouloir condamner le joueur, quels sont les « red flags » qui t’indiquent qu’il sera compliqué pour un joueur de passer dans le monde pro ?
Il y a une chose qui me perturbe, mais ce n’est pas le cas pour les scouts ou les recruteurs pour les clubs pro, c’est la qualité technique ! Quand je vois trop de déchets, ça me perturbe. Cela résulte plus d’une sensibilité footballistique que de la prospective.

Sur une donnée plus objective, si le joueur ne tient pas le choc sur le plan athlétique, ça me semble rédhibitoire. Et par athlétique j’entends les appuis, la vitesse, la force, la capacité à répéter les efforts à haute intensité. Pas forcément le gabarit ou le développement musculaire. On le voit dans le football contemporain, c’est devenu un prérequis.

 

« Ses qualités sont des axes de consolidation pour confirmer les belles choses vues en jeune. On en a vu tellement de cracks en jeune qui n’arrivent pas à passer le cap dans le football d’adultes ! »

Revenons au monde amateur. Il se déroule en ce moment une compétition chère à ton cœur, la H-Cup, peux-tu la (re)présenter ?
La H-Cup Marseille est un tournoi inter-quartiers créé au printemps 2020 et c’est notre quatrième édition. Elle réunit 12 équipes issues de 11 quartiers de Marseille et d’Aubagne, composées essentiellement de joueurs amateurs, au sens de licenciés dans des clubs amateurs aux niveaux D1, R2 et R1. Des joueurs non licenciés et des pros sont également présents dans les effectifs.

C’est une belle fête du football amateur à Marseille qui commence humblement à devenir un moment important. C’est le point d’orgue d’une saison bien remplie en clubs où les joueurs viennent représenter leur quartier, tout comme certains footballeurs professionnels représentent leur pays pendant les compétitions internationales.

Que ce soit en France, où plusieurs régions sont des places fortes en termes d’usines à talents (le fameux PLM entre autres), en Europe, on a aussi des places fortes dans le foot urbain comme Londres, les Pays-Bas, la Belgique, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, et au niveau mondial avec l’Amérique latine et le continent africain. Tu penserais quoi d’une Coupe du monde de street foot pour mettre fin au débat du ranking ?
Ça serait énorme ! Je sais qu’une petite confrontation a été organisée entre des joueurs d’Île-de-France et des Londoniens. Ce serait un concept fou d’organiser ça. À voir si ce serait à l’échelle européenne ou mondiale.

Il faudrait faire appel à des marques comme RedBull, Nike ou Adidas si vous souhaitez lancer le concept, on sera ravis de couvrir l’événement !
Je serai attentif à ce genre de projet ! Et je suis sûr qu’il y en aurait plus d’un qui serait ravi d’y jouer et de la suivre !

Quel joueur t’a marqué lors des matchs que tu as suivis cette saison ?
Il y en a tellement, mais si je devais n’en retenir qu’un seul, ce serait Mahamadou SANGARE, qui évolue en U17 nationaux à Montrouge et qui est surclassé (né en 2007). Il est le meilleur buteur de toutes les poules confondues avec vingtaine buts. Il a été convoqué avec les U16 France, n’est pas encore capé, mais c’est très rare qu’un licencié d’un club amateur soit sélectionné, ce qui est assez révélateur de son talent.

Avant-centre complet : beaucoup de sang-froid devant le but, très propre techniquement, beaucoup de calme, bon dos au but, bon pour attaquer la profondeur, bon dans le jeu combiné, bon pour sortir des espaces réduits grâce à sa belle qualité de dribbles, bon pour attaquer l’espace balle au pied, bon sur les efforts défensifs aussi bien au niveau du pressing que du repli. Au niveau athlétique, il est également très complet : il va vite, il est puissant, explosif, il a une bonne détente. Je l’ai découvert cette année, il est d’origine malienne et est arrivé en France il n’y a pas très longtemps (ndlr : l’année dernière). Il évoluait au Racing Club de France l’année dernière et il a signé à Montrouge cette saison dans des contextes différents : face à Caen avec une opposition assez faible et face au PSG. Dans les deux cas, il a été très intéressant.

Quand j’ai constitué mon équipe de joueurs évoluant en Île-de-France, je l’ai mis titulaire ! J’espère qu’il confirmera toutes les belles choses qu’il a montrées cette saison, car il a encore un long chemin à parcourir.

Physiquement, il est au-dessus de la moyenne en termes de gabarit et de capacité athlétique ?
Il est fin, il ne paie pas de mine, pas spécialement costaud, pas spécialement grand, mais c’est un joueur rapide et explosif, avec des foulées assez puissantes, qui est dur dans les duels et compliqué à bouger, même si ça ne saute aux yeux !

C’est intéressant ce que tu demandes, car avant d’aller le voir, j’avais échangé avec un collègue. Je suis parti avec un a priori : un joueur de 2007 qui évolue en U17 NAT et qui marque autant de buts doit avoir un avantage physique marqué.

Dans le Sud, on commence à parler d’Enzo Sternal, qui m’a impressionné ! Il peut jouer à tous les postes sur le front de l’attaque et même en soutien d’un neuf. Il est petit de taille mais solide sur ses jambes et explosif. Il sait tout faire avec un ballon : aussi bien dribbler que combiner, et en prime, il est juste ! Sa capacité technique est bonifiée par son intelligence de jeu.

Il n’a pas encore évolué en senior, donc toutes ses qualités sont des axes de consolidation pour confirmer les belles choses vues en jeune. On a vu tellement de cracks en jeune qui n’arrivent pas à passer le cap dans le football adulte !

Il faut suivre maintenant l’évolution sur le plan de la santé et sur sa capacité à gérer l’exposition médiatique. Ce qui est encourageant/rassurant, c’est qu’il semble être focus sur l’objectif d’être professionnel, surtout qu’il n’est pas un minot du cru, il était à Nancy. Il ne devrait donc pas être parasité par le « contexte marseillais ».

On parlait de la formation marseillaise tout à l’heure, mais je pense que la direction sportive lui fera une place au vu de l’investissement consenti : 550 k€ pour le faire venir, contrat professionnel signé dès son seizième anniversaire (ndlr : 28/05/23). Saisira-t-il l’opportunité qu’on lui donnera ? L’avenir nous le dira.

Retrouvez Azir sur Twitter : @Carterchnine

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