Nouvelle étape dans notre tour de France des éducateurs, à l’honneur aujourd’hui la cité phocéenne avec comme ambassadeur Chérif éducateur au Burel FC.
Cet échange vous permettra de découvrir les raisons de son engagement dans son club et les ambitions qui l’animent, les valeurs qu’ils souhaitent transmettre à ces joueurs et les apports réciproques entre vie professionnelle et investissement associatif.
Chérif, peux-tu te présenter sommairement ?
J’ai 31 ans j’officie depuis 7 ans dans le club du Burel FC situé au 13ème arrondissement de Marseille. Jusqu’alors j’étais sur le foot à 11 et j’ai encadré pas mal de catégories : des U15 aux U18. À la reprise je bascule en U13.
Pourquoi bascules-tu au foot à 8 maintenant ?
Je voulais changer un peu de cadre, je vais garder un pied dans le foot à 11 car je vais accompagner la transition entre les deux disciplines. Cette décision résulte du retour d’expérience de cette saison car j’avais constaté que certains joueurs avaient de gros manques et qu’il fallait quelquefois reprendre certaines choses. Je souhaite donc participer à la consolidation des bases et faciliter cette transition.
La première étape pour la progression c’est de réaliser un diagnostic lucide et savoir se remettre en question. Une carence a été identifiée avec le club ? On apporte les ajustements nécessaires pour la gommer.
L’autre chantier que j’aimerai initier au sein du club, c’est la définition d’un modèle de jeu. L’objectif est de définir l’exhaustivité des acquis à assimiler à l’issue d’une saison de chaque catégorie. Cette feuille de route, co-construite avec l’ensemble des éducateurs du club, permettra de faire gagner un temps non négligeable à l’ensemble des staffs.
C’est une démarche que je souhaite initier en toute humilité et ne surtout pas arriver et imposer mon point de vue. Le fond est important mais ce qu’il y a au sein des cases est à définir collectivement.
Par le passé j’avais un tempérament plus réservé et je n’aurai jamais mis ça sur la table. Mon cheminement personnel fait que je ne peux pas faire l’autruche et faire mon bonhomme de chemin seul. Aujourd’hui la progression collective passe avant tout aujourd’hui.
Qu’est-ce qui t’a poussé à te lancer il y a 7 ans ?
J’ai joué depuis plusieurs années au football, à la suite de soucis de santé je n’ai pas pu continuer comme je le souhaitais en senior, je me suis réorienté en futsal et ça n’a pas été fructueux. J’ai mis du temps à accepter le fait que le football en tant que joueur c’était fini pour moi.
J’étais le stéréotype du joueur de quartier, mieux connu sous le gimik « ish-ish ». Quand j’affrontais des très bons joueurs d’autres quartiers sur des surfaces réduites je les mettais par terre mais j’avais énormément de mal à être aussi performant les week-ends sur le foot à 11. J’ai eu un déclic en U15 grâce à la rencontre d’un entraîneur qui ne faisait que de jeu à l’entraînement. Il a été franc et direct avec moi, j’allais être un joueur de complément qui allait plus jouer en équipe 2 qu’avec l’équipe fanion de la catégorie. À force de travail et de persévérance j’ai pu épurer mon jeu et délaissé les exploits individuels aux bénéfices des actions « utiles ». La progression et la maturité footballistique sont poursuivies par la suite au contact d’éducateurs qui m’ont accompagné et distillés de bonnes notions.
Bien que leurs profils fussent différents, l’un était plus dans l’affect et l’autre beaucoup axé sur l’aspect tactique, j’ai pu enrichir ma palette technico tactique de plusieurs teintes.
Comme ce sport m’a énormément apporté sur le plan humain et m’a permis de rester éloigné de mauvaises choses, je voulais rendre un peu ce que m’avait apporté ce sport et de transmettre ce que j’ai appris durant toutes ces années. Je voulais à mon tour être un déclic pour certains jeunes pour qu’ils progressent au foot et qu’ils évoluent positivement en tant qu’homme.
Avant de vouloir s’inspirer de n’importe qui, je pense que le plus important c’est de connaître qui on est. Il faut définir le projet de jeu en fonction de l’identité de son club, des valeurs qui l’animent et des joueurs dont tu disposes, plutôt que de faire du mimétisme qui n’a aucun sens.
Dans ton parcours d’éducateurs quels sont les éléments que tu as transmis à tes joueurs qui leur seront utiles ? Des éléments utiles dans le foot comme dans la vie de tous les jours.
Malheureusement ça ne marche pas avec tout le monde, on arrive certaines fois à éloigner des joueurs de problèmes extra-sportifs. Avec l’arrêt des compétitions lié au Covid on a des joueurs qui ont fait de la prison, des jeunes qu’on arrivait un peu à tenir à l’écart des mauvaises choses et mauvaises fréquentations.
Comme pour les valeurs humaines qu’on souhaite transmettre, des évolutions positives dans le jeu de certains joueurs arrivent, d’autres pas ou sont beaucoup moins marquées.
Pour illustrer mes propos, la leçon que je tire de cette saison est la suivante : si tu laisses le temps à ton joueur, en dessous à l’instant T, de progresser au détriment des résultats de ton équipe, ce joueur va réussir à combler l’écart avec le reste du groupe et se mettre au diapason.
Intrinsèquement mon groupe était qualitatif mais péchait au niveau mental. La phase aller était très compliquée en termes de résultats, mais à chaque mal un bien, ça a permis de libérer mentalement les joueurs et on tenait tête voir dominait outrageusement les équipes du haut du classement sur la phase retour. Après la vérité du terrain est cruelle, si tu n’es pas performant dans les deux surfaces, tu as beau développer tout le meilleur jeu entre ces deux zones, tu repars sans les trois points.
L’écart entre la fin et le début d’une saison est multifactoriel mais à coup sûr le constat de présaison n’a pas été bon.
Les déconvenues et les injustices font aussi partie de l’apprentissage.
Clairement et je peux te garantir que cette saison j’ai appris à vitesse grand V car on dit souvent que les défaites sont plus formatrices que les victoires.
Je me permets de revenir sur ton projet de modèle de jeu. Quels sont les techniciens qui t’inspirent dans le football et quel jeu souhaiterais-tu que ton club produise ? Bien entendu tu ne peux pas faire du gegenpressing à des jeunes ou produire un jeu aussi huilé que celui de Pep.
Tu sais qu’au niveau de la philosophie de jeu j’ai des troubles de la personnalité (rires).
Je vais regarder la partition de City face au Real en ½ retour de la LDC (ndlr saison 2022/2023) et je vais me dire : « c’est ça le football » et avoir des étoiles plein les yeux mais ça ne m’empêchera pas de prendre autant de plaisir à voir les équipes de Klopp et me régaler sur des transitions.
Dans un monde idéal, j’aimerais avoir des équipes intenses et agressives à la Bielsa, Klopp ou Tudor, mais on est vite rappelé à la réalité.
Avant de vouloir s’inspirer de n’importe qui, je pense que le plus important c’est de connaître qui on est. Il faut définir le projet de jeu en fonction de l’identité de son club, des valeurs qui l’animent et des joueurs dont tu disposes, plutôt que de faire du mimétisme qui n’a aucun sens.
Au Burel, historiquement on a toujours mis en place un bloc compact et une fois que tu es dans la zone de press tu sens que tu es dans une zone minée.
L’intensité et l’agressivité sont des valeurs qui sont ancrées. Je trouve ça beau d’avoir un ADN à respecter et à perpétuer.
Pour développer ta philosophie de jeu tu as combien de séances dans la semaine ? Vu que l’intensité est une valeur cardinale dans ton club, comment tu réagis face à des joueurs qui ne mettront pas une intensité suffisante la semaine ?
À partir des U10 on a 3 séances par semaine.
Pour l’intensité tu ne peux pas être à 110 % tout le temps, tu dois être également dans la gestion. En milieu de semaine tu peux charger un peu plus.
Vu que tu as un emploi à plein temps en marge de ton rôle d’éducateur, tu estimes à combien d’heure par semaine les tâches dévolues à l’encadrement de ton équipe ?
2 heures par séance et par rencontre on est déjà à 8 heures.
Si tu rajoutes le travail de vidéo, il faut compter au minimum entre 2h30-3h par match et avec les missions transverses tu accostes à 13-15h par semaine.
Et ça, c’est que le temps sur ma catégorie et sans les déplacements. Il peut t’arriver de dépanner au sein de ton club au pied levé avec un remplacement sur une séance par exemple.
Est-ce que tes missions d’éducateurs t’enrichissent dans ton emploi (pour information à celles et ceux qui vont lire cet échange, tu es infirmier) ?
Le niveau pro m’enrichi sur mon rôle d’éducateur et inversement. Au niveau pro le contact avec les jeunes et le relationnel me sont très bénéfiques auprès des patients. Dès qu’il y a un jeune, mes collègues m’appellent pour que je le prenne en charge.
Le professionnel m’a été bénéfique dans la notion de confiance, de placement du curseur au niveau de la distance, dans la structuration de mon discours et la formalisation de mes travaux.
Avant je ne connaissais pas la portée des mots et l’importance de l’éloquence pour faire passer un message. Une citation de Ludwig WITTGENSETEIN m’a marqué à cet effet et a été un déclic pour moi : « les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde ».
Il faut arrêter d’avoir une position hautaine vis-à-vis d’une personne qui s’exprime bien. Ce n’est pas une façon de faire l’arrogance intellectuelle, c’est factuel si tu t’exprimes clairement et surtout avec les bons termes tu facilites la transmission de ton idée auprès de ton groupe.
Ton discours fait écho à la citation de Christian GOURCUFF dans le podcast que j’ai pu enregistrer pour Livres de Foot : « rendre accessible une chose complexe c’est de la pédagogie, l’inverse c’est de la communication ». À bon entendeur et surtout à méditer !
Et le week-end, sur le banc tu es plutôt Laurent Blanc ou Tudor ?
J’ai été pas mal Tudor par le passé et au fil des résultats décevant cette année de par les coups du sort je me suis dit que ça ne servait à rien de m’exciter sur le côté. J’ai compris que l’équipe était plus sereine quand j’étais moins actif sur mon banc.
C’est un constat que j’ai mis en place à la suite d’un échange avec Damien Della-Santa sur l’analyse des rencontres. Il m’a conseillé de mettre un dictaphone sur le banc pendant tout un match. L’écoute de la piste audio a été une révélation salvatrice pour moi. J’étais choqué de mon attitude : mets des protège-tibias, va jouer si tu es aussi agressif sur la touche (rires).
Malheureusement on n’a pas beaucoup d’arbitres, ils sont seuls, peu accompagnés dans leur apprentissage, ils sont lâchés dans la fosse aux lions pour des matches de la montée en régional alors qu’ils ont 15 ans ! Certaines attitudes peuvent les écœurer du foot.
Toi qui as beaucoup joué au foot, pas sûr que tu aies apprécié d’être coaché par un tel entraîneur (rires) ?
Mais clairement et je comprends certaines réactions de mes joueurs. Aujourd’hui on fait les boomers avec nos leçons à l’encontre des jeunes, mais nous, on faisait pareil !
C’est pareil pour les arbitres. Pendant un moment je réagissais au moindre coup de sifflet, mais ça ne sert à rien ! Certains font un périple pour venir arbitrer, ils ne se déplacent pas en se disant allez aujourd’hui je vais tout siffler contre Burel.
Malheureusement on n’a pas beaucoup d’arbitres, ils sont seuls, peu accompagnés dans leur apprentissage, ils sont lâchés dans la fosse aux lions pour des matches de la montée en régional alors qu’ils ont 15 ans ! Certaines attitudes peuvent les écœurer du foot.
L’essentiel c’est de prendre conscience de nos lacunes et de tout faire pour les estomper, voir les faire disparaître. Et ce qui est beau c’est qu’à l’issue de chaque saison j’aurai de nouveaux enseignements.
Quand je vois le cheminement jusqu’à aujourd’hui, je suis satisfait. J’ai commencé en faisant des dingueries. Je me prenais pour Thierry Henry, les joueurs étaient à l’entraînement, je prenais le ballon, croché, passement de jambes, frappe en pleine lucarne : « et voilà c’est comme ça qu’il faut faire ! ».
J’ai pris aussi des claques avec certains joueurs, je me disais qu’ils n’étaient pas faits pour le niveau où ils voulaient évoluer. Aujourd’hui c’est impossible que je tienne ce genre de propos. J’ai vu de mes propres yeux des joueurs qui étaient en difficulté en 4ème division mais qui aujourd’hui claquent des doublés en 1ère division à l’étranger.
Étant proche de mes joueurs, je ne te cache pas que ça m’est arrivé de m’excuser auprès de certains de mes joueurs suite à mes erreurs d’appréciation.
Je suis convaincu qu’en étant juste, pédagogue et franc ton discours passera beaucoup mieux qu’en étant un dictateur croyant détenir la science infuse pour qui la communication n’est que descendante.
Il n’y a rien d’humiliant, bien au contraire, à assumer ses erreurs devant son groupe. Nous sommes les premiers à les relever sur une action, un mauvais placement. En les verbalisant devant ses joueurs on montre que nul n’est infaillible et que l’erreur est une étape sine qua non vers la progression.
Dans l’environnement des clubs, les parents font de plus en plus parler d’eux et pas forcément en bien, as-tu été confronté à cette problématique ?
Tu as beau fixé des règles avec ton club, les parents arriveront toujours à les contourner. Je suis de l’ancienne école pour moi ces comportements sont intolérables et incompréhensibles. Un parent n’a pas à cour circuiter la relation entre éducateur joueur. L’éducateur est dans le prolongement du travail éducatif, si le parent vient déconstruire ce qu’on met en place c’est un non-sens.
Même si je sais que ça ne va pas être fructueux avec tous les parents, je m’astreins à réaliser à chaque début de saison une réunion avec les parents pour fixer le cadre. Je n’ai pas envie d’en arriver à l’extrémité de pénaliser mes joueurs en raison des agissements de leurs parents.
À titre d’exemple cette saison en U16, j’ai dû faire face à un parent très intrusif et j’ai décidé de ne pas pénaliser mon joueur. Si c’était à refaire, c’est malheureux pour le gamin, mais je n’aurai pas agi de la sorte je l’aurai écarté car ça aurait été une double sanction et le père aurait aussi payé les frais de son mauvais comportement. Ça l’aurait peut-être poussé à se remettre en question et revoir sa posture.
Si je peux prodiguer un conseil à un éducateur ce serait le suivant : fixer un cadre en début de saison en toute transparence avec les joueurs et les parents en affichant d’emblée les risques encourus à tout écart. Ce cadre doit être immuable et non négociable.
Belle transition pour le conseil, quel serait celui que tu donnerais à une personne qui souhaiterait franchir le pas et devenir éducateur à la prochaine saison ?
Il faut déjà avoir du temps à consacrer à cette mission (rires). Cet investissement social va te permettre d’acquérir des compétences qui te seront utiles dans la vie de tous les jours et ça va renforcer ta confiance en toi.
En synthèse, si on a envie de se sentir utile et qu’on souhaite faire progresser des personnes tant sur le plan footballistique qu’humainement, il faut taper à la porte d’un club autour de toi et tu seras reçu à bras ouverts car malheureusement on manque cruellement de bénévoles.
Le Mag se veut être un média de partage, aurais-tu un exercice à proposer aux éducateurs qui liront cet échange ?
Séance d’entrainement de Chérif
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Edité par Alibi
2 commentaires
Superbe coach que j’ai eu à ses début au Burel, toujours franc et proche de ses joueurs. Je lui souhaite la réussite dans ce nouveau projet avec ses u13.
Très intéressant