Interview de Benjamin, éducateur au CA Gombertois

par Le Mag de l'Educateur

Dans notre tournée des éducateurs, de retour dans la cité phocéenne avec Benjamin, éducateur du CA Gambertois, qui nous parle de sa première expérience dans le foot féminin ou encore du football adapté, ou son métier d’éducateur spécialisé est un plus.

Peux-tu te présenter ?
Moi, c’est Benjamin, j’ai 29 ans je suis dans l’éducation sportive dans un club de foot depuis 4 saisons, avant j’étais dans une équipe de sport adapté, c’est via cette porte là que je suis entré au CA Gambertois. Dans la vie active, je suis éducateur spécialisé auprès d’adultes en situation de handicap. J’avais lancé un média avec plusieurs comparses sur la LIGA, c’était ma première expérience dans le football, autrement j’ai joué 2 saisons quand j’étais en U13 puis j’ai arrêté. Et c’est aujourd’hui, à travers la prise en charge d’enfants que je retrouve le monde du football et que je m’épanouis pleinement.

Cette année, tu t’occupes des U15 F ?
Oui, cette année, on a relancé le pôle féminin dans sa globalité, c’était le gros objectif du club cette saison ! On a opté pour un lancement en 15 F à 11 car on encourage la mixité sur le foot à 5 et à 8, mais le foot à 11 comme il y a plus de différences de niveau, on a ramené beaucoup de filles qui n’avaient jamais été dans un club. On a pu lancer des 13 F au vu de l’arrivée importante de filles et leur intérêt pour le football. Aujourd’hui, on a des filles qui sont en mixité pour les U10, U11, U8 et U9

Les U13 F, elles jouent au football à 8 ?
Oui, c’est ça.

C’est une première pour toi avec un public féminin ?
Oui, c’est ma première expérience avec un public féminin, j’avais seulement fait avec des 13, 14 et 15 ans masculins et des adultes.

Observes-tu des différences entre le management des filles et des garçons du même âge ?
Il y a une différence de niveau car les filles ont moins de temps de pratique que les garçons, sont moins éveillées à la pratique du foot, on a donc des motricités différentes et des comportements différents. Il y a aussi davantage de méconnaissance des règles qui régissent un match, on a dû sensibiliser et travailler sur ce point par exemple. En termes de vie de groupe, on a de la chance, car on a un état d’esprit très sain même si les victoires ne sont pas toujours au rendez-vous, le groupe est cohérent, il s’entraide et est bien intégré au club. J’observe que l’on a des petites qui ont besoin d’explications, de comprendre pourquoi elles font ci ou ça, elles extériorisent beaucoup les sentiments, les incompréhensions…On a aussi un groupe qui a plus tendance à bouder, elles ont des réactions assez fortes quand quelque chose ne va pas mais elles verbalisent cela et on revient beaucoup dessus pour répondre à leur pourquoi. Je remarque aussi que les filles ont l’envie de toujours bien faire…ce que l’on voit moins chez les garçons. Elles veulent être au top, au maximum de ce qu’elles peuvent faire, cela entraîne aussi plus de frustrations quand elles font un mauvais match ou autre. Les garçons, a contrario, évacuent plus vite la frustration ou idéalisent leur prestation.

Elles développent une intelligence situationnelle et émotionnelle et elles arrivent à savoir et à saisir les moments où par exemple on va venir cadrer, mettre plus d’intensité, bloquer d’un côté, gêner un bloc pour aller en pression sur l’équipe adverse

Est-ce que les filles progressent plus vite que les garçons ?
Elles partent de plus loin donc les premières progressions arrivent vite pour être au niveau des autres clubs féminins. Chez les garçons, le niveau général est plus élevé donc c’est plus long pour être à leur niveau.

Par rapport au niveau de ton groupe, comment les filles assimilent-elles l’aspect tactique ?
Bien car on s’est focalisé pendant longtemps sur l’aspect défensif et sans ballon, on est dans une posture où on leur explique tout ce que l’on veut faire. On a beaucoup de marocaines dans l’équipe, on a donc pu se saisir de ce qui s’est passé pendant la coupe du Monde pour travailler des points précis.  On expérimente aussi beaucoup, on leur a exposé un projet, des attentes, ce sont des moments où elles doivent vivre sans ballon, où elles doivent faire bloc. Globalement on est satisfaits, car les filles assimilent bien même plus que les garçons ! On leur expose un cadre, des règles, des attendus, des répétitions de situations…et elles développent une intelligence situationnelle et émotionnelle et elles arrivent à savoir et à saisir les moments où par exemple on va venir cadrer, mettre plus d’intensité, bloquer d’un côté, gêner un bloc pour aller en pression sur l’équipe adverse… J’observe que les filles intègrent mieux ces choses que les garçons.

Concernant les entrainements, tu en fais combien par semaine et sur combien de temps ?
Elles font deux fois une heure trente par semaine. On a eu beaucoup d’arrivées de joueuses avec des niveaux différents donc on a créé une équipe de 8 en 15F, le mercredi on fait une séance commune donc toutes l’ensemble des filles est présent, le jeudi c’est le groupe des filles à 8 qui s’entraine donc une dizaine de filles et le vendredi on convoque les 18- 19 filles qui composent le groupe à 11. On a déjà eu des navigations entre les deux groupes. L’idée étant d’avoir une dynamique même avec des groupes de moindre envergure et on a commencé à faire des matchs de foot à 8 en amicaux et à 11 en championnat.

Tu as un groupe de combien de filles au total ?
J’ai un groupe de 27 filles au total dans le groupe U15 F dont 3 qui sont U13 mais qui sont en avance physiquement, on a décidé que c’était plus intéressant pour elles de basculer dans un format à 11. A coté de cela on a 15 filles dans le groupe U13.

Elles sont toutes, toujours présentes aux entrainements ?
On a globalement- hormis blessures- une présence entre 23 et 25 filles le mercredi sur 28 et le jeudi et vendredi on est à 100% car on marche à la convocation. On est content !

Quel est le projet de jeu mis en place avec les filles ?
On a un projet général au club sur l’ensemble des groupes. Notre méthodologie c’est un cadre à respecter. Notre idée, on veut avoir 2 lignes compactes, en foot à 8 en sera en 3-3-1 et en foot à 11 4-4-1-1 , 4-4-2….. sans ballon. On veut avoir des temps à bloc médian avec des temps pour coulisser, pour subir de manière volontaire des séquences sans ballon pour récupérer le ballon dans des zones spécifiques pour ensuite piquer en transition. On attaque les espaces ou on se les créé, ça fonctionne bien à nos niveaux. Dans notre club, on essaie d’accueillir tous les enfants, on ne fait ni sélection, ni détection, on va avoir des profils avec des formations particulières avec des enfants qui arrivent en U13 après avoir arrêtés en U9 etc, des profils décousus…avec des notions tactiques assez floues. On va donc poser un cadre très général et stricte sans ballon et après on va construire en fonction de notre groupe, les situations avec ballon. Ce qu’on a fait avec les filles, c’est qu’on a commencé en 4-4-1-1 avec un bloc médian bas, on s’est rendu compte que l’on subissait beaucoup et qu’on n’arrivait pas à se créer des occasions, c’était dû au niveau des petites, au manque d’expérience ainsi qu’à l’animation avec et sans ballon qui était mauvaise. On a donc rajouté un 6, et on est passé en 4-1-4-1, l’idée c’était de se rassurer avec un bloc très bas et de montrer qu’on était en capacité de vivre les matchs. On a fait ça pendant presque 2 mois, les filles ont gagné en confiance, en consistance et il y a eu des moments où on a concédé zero but sur une mi-temps…dès que s’est allé mieux, on a commencé à repartir sur notre 4-4-1-1 qui se transforme en 4-4-2 avec ballon et là c’était plus intéressant en transition, en récupération on est moins bas. Là on est sur un moment d’apprentissage avec format foot à 11 en 15F avec une première phase de brassage géographique, nous on était dans une poule assez relevée. Sur la phase 2, on va trouver des équipes plus à notre niveau. On a des moments avec et sans ballon que l’on maitrise, arrivera à des moments où on gagnera des matchs contre des équipes à notre niveau, et là on arrive à nos attendus ! Notre objectif principal dans toutes les catégories, c’est la fidélisation et là on veut finir la saison avec un beau taux de victoires, l’idée c’est de leur montrer qu’elles progressent. L’objectif secondaire, c’est la Coupe de Provence qui se déroule en format foot à 8, un format où on peut performer et ensuite être le plus haut possible !

Concernant le projet de jeu du club, est- ce que vous avez été concertés sur le projet de jeu global et comment ce dernier est perçu par les éducateurs ? Avez-vous une marge de liberté ?
Le Directeur Technique a rejoint le club en 2020, c’est lui qui m’a fait venir au CA G. Il avait un projet de jeu, un projet d’entrainement avec une méthode assez claire et novatrice pour le football marseillais. Il a présenté sa vision et ses idées, en bannissant certaines choses comme les exercices de motricité dissociée, les tours de terrain par exemple… On a martelé, on a apporté beaucoup de solutions et d’outils pour palier à ça et permettre aux éducateurs de travailler ce qu’ils veulent travailler en respectant cette méthodologie d’entrainement. Pour le projet de jeu, on a des attendus sur les parties sans ballon, on veut voir certaines choses durant ces moments précis car pour nous ça permet aux enfants de naviguer entre les catégories et les niveaux 1, 2, criterium… On s’est rendu compte qu’une équipe à 8 qui jouait en 2-4-1 ou en 3-3-1, les joueurs de côté n’avaient pas les mêmes manières de travailler et les mêmes répétitions de gestes. On s’est dit qu’on allait essayer de lisser au moins les compositions et schémas de jeu pour que ce soit plus faciles pour les enfants en termes de repères. On n’est pas fermé, on n’a jamais dit à un éducateur « si tu ne fais pas comme ça, on va te virer », on est plutôt dans une posture où on va discuter avec lui. Souvent, ils viennent nous voir s’il y a des soucis, nous on va discuter avec eux pour tenter de trouver des solutions, répondre à leurs problématiques tout en restant dans la lignée du projet de jeu initial. On nourrit le projet avec les éléments contextuels, le niveau des enfants…c’est quelque chose de mouvant et c’est plutôt bien reçu, même de la part de certains éducateurs réfractaires qui ont fini par s’y conformer et qui comprennent pourquoi on fait ça et deviennent moteurs de ce que l’on veut mettre en place !

C’est une bonne chose mais si ce n’est pas toujours évident…
Il faut du temps, mais au final quand c’est bien cadré, que l’on travaille bien, les progrès sont très rapides sur les catégories et ça montre que ça fonctionne et beaucoup de gens ont besoin d’être convaincu, de voir que ça fonctionne pour adhérer au projet.

Tu t’occupes aussi du foot adapté, est-ce que tu peux nous en dire davantage ? Et est-ce que le fait d’être éducateur spécialisé te facilite la tâche ?
Oui, ça m’aide dans tout ! Professionnellement, je suis éducateur dans un ESAT auprès d’adultes handicapés. Il y a des organes de vie associative et de vie démocratique dans cet établissement et cela pourrait ressembler à un CSE ou un Comité d’entreprise. Durant ce CVS, des travailleurs- plutôt jeunes- ont relevé l’envie de créer une équipe de l’ESAT, moi j’ai dit ok, j’ai fait des recherches, je me suis proposé pour être coach. On s’est rendu compte qu’il y avait une Fédération Française de sport adapté, c’est à mi-chemin entre le foot de droit commun et l’handisport. Les règles, le format sont adaptés pour un public avec un profil différent. On s’est engagé à faire les tournois avec une équipe senior avec des adultes de plus de 16 ans. Moi, dans mon équipe, on est 20, ça va de 18 à 37 ans et la saison se décompose en 6 grands rendez-vous avec deux journées de tournoi régional de futsal, 2 journées de tournoi régional de foot à 7, un championnat national de futsal à 5 et un championnat de foot à 7. Nous, avec nos infrastructures, on n’est pas très bon en futsal, on est fort au niveau régional parce que l’on a des bons joueurs mais on ne participe pas aux championnats de France. Par contre, pour le foot à 7, on est une des meilleures équipes de la région, on a déjà participé à 2 tournois nationaux à Valence et à Nantes, deux fois on est sorti en 8ème de finale, donc on est content. On est sur une pratique avec des adultes qui ont surtout des pathologies psychologiques, psychiques, avec des retards cognitifs… On a peu de pathologie physique. L’idée, c’est de permettre à ces personnes de se sociabiliser, d’avoir des moments où ils voient des personnes autres que leur entourage proche. Quand on part en championnat de France, on part sur 4 jours, moi je pars avec eux, ils gèrent leur chambre, leur repas à l’hôtel ; on se donne des points de rdv à l’hôtel…on fait travailler leur autonomie mais aussi l’aisance dans les lieux publics, se conformer à des horaires, à acquérir des choses qui peuvent leur manquer et de mieux vivre dans leur vie quotidienne. C’est un super projet, le club est moteur dedans et on est très enthousiastes, on est très content ! D’ailleurs si tout se passe bien, on espère relancer les seniors l’an prochain et notre objectif c’est aussi de rattraper d’autres enfants du foot adapté pour les faire jouer en senior dans notre équipe à nous. C’est une vraie volonté de faire un club complet avec toutes les composantes qui vivent ensemble, on œuvre de cette manière-là !

Ces personnes ont des besoins de sentir qu’on est là pour eux…
C’est ça, ils ont besoin d’être considéré, valorisé. Quand les gens ou Président viennent les voir, ça leur fait super plaisir, un maillot du club pour eux c’est un bonheur car ils se sentent appartenir à un groupe. C’est plaisant pour nous et pour eux, ça n’a pas de prix. Ils donnent beaucoup pour le club, c’est une très belle expérience !

Avec cette initiative, est-ce que vous travaillez avec un centre spécialisé ?
Non. Le sport adapté est adossé à des structures spécialisés (ESAT, foyer de vie…), nous on a pris le parti d’avoir des collaborations notamment avec des Instituts Médico- Educatif (IME) et leur section sportive de sport adapté. On s’est dit, vous, vous occupez de ces enfants jusqu’à leur 18 ans, nous on peut les récupérer après car souvent il y a un moment de flottement entre la fin de la scolarisation et le début de l’entrée dans la vie actives pour ces personnes en situation de handicap… Souvent pendant cette période transition, ils peuvent avec des problèmes d’addiction, de vie sociale compliquée…si nous on arrive à les récupérer, les encadrer même pour une séance par semaine et un match de temps en temps, ils vont voir du monde, discuter, se sociabiliser et on arrive nous a voir s’il y a des problèmes dû à cette rupture d’accompagnement…on œuvre alors pour limiter les effets ! On a des bons retours, on n’a pas 100% de réussite mais c’est tout de même positif !

Le 100% de réussite c’est difficile de l’atteindre ?
Oui, on ne pourra pas convenir à tout le monde, ni répondre aux besoins de tous. L’objectif étant qu’on réussisse à intégrer le plus et le mieux possible. On ne cherche pas de faire du recrutement pour avoir du niveau à tout prix, on veut surtout bien travailler, bien entrainer et prendre en charge les gamins au mieux ! On a lancé une formation interne au CA G avec des modules internes pour apprendre à nos éducateurs à bien prendre en charge les équipes autour de fondamentaux technique, tactique, humain… On se dit si on travaille bien, les résultats arriveront ! On veut que les gens du quartier nous connaissent, on veut cultiver notre identité, être intégré dans la communauté, accueillir les gamins d’à côté… Faire côtoyer les jeunes et les parents, avoir un rôle social important ! On est vigilant sur le côté familial mais on ne veut pas tout accepter, on veut une cohésion et des bases saines et ça rassure beaucoup de parents aussi !

Est-ce que vous avez eu des problèmes de violence avec les parents ?
Oui on a connu mais ça s’est résolu rapidement car on a un club soudé ; on a quelques parents difficiles à gérer et on a un discours ferme avec eux soit ils acceptent ce qui est mis en place et on leur explique pourquoi soit si pour eux cela ne convient pas on leur dit de partir. Par exemple, à l’école de foot, on a beaucoup d’enfants et quelques parents qui viennent nous dire que leur enfant est le prochain Messi ou Mbappé et qu’il faut les entraîner de telle ou telle manière… Il y a aussi des parents qui ont un discours péjoratif sur le football et les éducateurs et ils ne font pas confiance ; là encore on essaie de tenir un discours pour travailler en confiance et les rassurer sur ce que l’on fait et pourquoi on le fait. Ça fonctionne plutôt bien. On est ouvert à la discussion, on a mis en place des réunions avec une présentation de la méthodologie, les attendus… Il y a deux façons de voir les choses avec les parents difficiles, soit on les laisse de côté et on ne les intègre pas dans le processus soit on essaie de les intégrer, on discute, on essaie de tempérer…je pense que c’est la meilleure façon. Pour les éducateurs, il ne faut pas faire de fausses promesses aux parents !

Qu’est-ce que tu conseillerais à quelqu’un qui veut être éducateur ?
Je lui conseillerai de se lancer, d’être soi-même et d’être bien entouré !

Interview réalisé par Nicolas
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