Après avoir rencontré des éducateurs aux quatre coins de la France, je vous propose de découvrir les arcanes du football amateur outre-Atlantique. Rod Wilhelm, Alsacien d’origine, a posé ses valises à Toronto et nous expose son analyse à froid – sans mauvais jeu de mots – sur le soccer amateur en Amérique du Nord. Prenez place dans la salle d’embarquement pour découvrir cette belle aventure humaine.
Bonjour Rodolphe, peux-tu te présenter et nous exposer ton cheminement qui t’a mené à t’installer au Canada ? Bonjour Rafik, je me présente : Rodolphe Wilhelm, 35 ans.
Les voyages ont toujours jalonné mon parcours. Même durant mes études, je n’ai pas hésité à braver les frontières.
La France a noué des accords avec plusieurs pays étrangers pour permettre aux ressortissants français de travailler à l’étranger. Le Canada a ratifié ce texte et permet d’obtenir un permis vacances/travail.
Sur place, j’avais des amis qui m’ont incité à faire le grand saut. Leur présence pour faciliter mon intégration et mon sens du challenge m’ont incité à sauter le pas en 2012.
À cette période, je n’avais jamais eu d’expérience dans l’encadrement d’une équipe. J’étais joueur et ma seule préoccupation était de pouvoir trouver un club pour continuer à exercer ma passion. J’ai décidé de me lancer lors du Covid et mis à profit le temps « libre » pour initier mon parcours de formation. J’ai pu décrocher la licence C canadienne et la licence UEFA C via la Fédération irlandaise.
Quelles sont les difficultés que tu as dû surmonter lors de ton adaptation ? Pas simple de changer de pays, encore moins de continent…
Au niveau footballistique, il faut faire un reset complet par rapport à ce qu’on connaît en France. Les championnats, le coût d’une licence et les installations n’ont rien à voir ici. Au Canada, on peut s’entraîner sur plusieurs terrains ou parties de terrain, il n’y a pas de club-house et les joueurs arrivent en tenue ou utilisent le côté des terrains comme vestiaires. Idem pour les causeries d’avant séance, tout se fait sur le terrain.
C’est surprenant, dans mon imaginaire, c’était plus l’inverse. J’avais en tête un pays où la culture sportive était très ancrée, à l’instar du grand voisin US, avec des installations rutilantes.
Ça, c’est valable au niveau universitaire ! Pour les clubs comme ceux dans lesquels je suis, ce sont des locations aux grosses structures. D’où les conditions un peu particulières que j’ai décrites précédemment et les coûts élevés pour pratiquer ce sport.
Et au niveau des championnats amateurs, c’est comment ? Comme en France avec un système pyramidale d’accession/relégation ou comme sur le modèle sportif US ?
C’est le modèle sportif US. Avec des play-offs pour définir les poules et par la suite se déroule une saison régulière sans « enjeux » sportifs. C’est dommage car la compétition peut apporter un peu de piment pour inciter les jeunes à se surpasser. Le seul point commun, c’est le barème des points. Sinon, tu as également des spécificités locales. La plus marquante, c’est la ligue d’hiver où, lors de laquelle, les rencontres se jouent à l’intérieur de Dôme. Comme les installations de ce genre ne sont pas légion et qu’il y a beaucoup de demandes, les ligues ont adapté les règles. Les rencontres durent cinquante minutes : deux mi-temps de vingt-cinq minutes. Du coup, pour les remplacements, c’est comme au hockey sur glace, tu ne demandes pas à l’arbitre et ça peut sortir et rentrer sur seul souhait du coach.
C’est beaucoup plus développé qu’en France. Déjà, ils en font beaucoup à l’école et certains pratiquent d’autres disciplines que le foot en club !
Du coup, footballistiquement parlant, tu t’adaptes comment à ces modifications de règles et de pratiques structurantes ?
L’hiver, c’est très problématique. Vu le faible temps des rencontres et comme j’ai un groupe de 17 jeunes, j’ai été très transparent avec les joueurs en leur indiquant que le temps de jeu pour certains sera limité et que je ne pouvais pas garantir une répartition équitable. Il y avait des règles de base qui étaient non négociables : tu as beau être un bon joueur si tu n’es pas assidu à l’entraînement, tu ne joueras pas ou au mieux pas beaucoup.
Après, il y a des petits ajustements pour ne pas se mettre en danger bêtement lors des changements. Par exemple si je dois faire un changement d’un de mes 2 centraux excentrés – je joue en 3-4-3 – je vais demander à l’entrant de se positionner à l’opposer pour être le plus proche du sortant et ne pas laisser un espace ouvert à l’adversaire.
Du coup, estimes-tu à combien de temps la période d’adaptation et d’intégration de toutes ces spécificités ?
Difficile à dire, mais je pense qu’il faut à minima une saison complète avec le cycle d’été (avril à septembre) et celui de l’hiver (octobre à mars). Sachant qu’il n’y a très peu de coupures ici. Tu as seulement une pause en fin d’année pour les fêtes et l’intersaison estivale ne dure que deux semaines.
La pratique du sport est comment au Canada ?
C’est beaucoup plus développé qu’en France. Déjà, ils en font beaucoup à l’école et certains pratiquent d’autres disciplines que le foot en club ! Donc, c’est un paramètre à prendre en compte pour la gestion de ton groupe, la planification de tes séances et la composition de l’équipe.
Et à Toronto, quels sont les sports les plus suivis ?
Sans surprise, c’est le hockey sur glace, une véritable religion ici ! Derrière, bien évidemment, le basket avec les Raptors et le baseball pas loin.
Sans transition, quels sont les points forts et axes d’amélioration des joueurs canadiens ?
Le gros point fort et pas des moindres, c’est leur soif d’apprendre. L’axe d’amélioration, c’est au niveau de la motricité. C’est l’un des versants négatifs de leur grosse culture sportive, ils ont des réflexes et des façons de courir acquises via d’autres disciplines qui ne sont pas les plus efficaces pour le football.
La culture foot n’est pas non plus très développée. Très peu de joueurs regardent les rencontres le week-end.
Le Canada est une terre d’accueil avec pas mal de diaspora, quelles sont celles que nous retrouvons le plus sur les terrains de foot ?
Les joueurs ayant des origines étrangères sont très représentés, effectivement, sur nos terrains. Il y a une très forte communauté d’Amérique du Sud. Après, on a les Européens et assez surprenant pour le souligner, des Indiens.
Est-ce que le fait d’accueillir la prochaine édition de la Coupe du monde a permis de mettre en lumière davantage le soccer, comme on dit outre-Atlantique, et d’accélérer son développement ?
À ce jour et à mon niveau, je ne vois pas de gros coup d’accélérateur. Peut-être que cela va se mettre en place, mais pour l’instant, je reste sur ma faim. Comme tu le soulignes justement, l’organisation d’un événement majeur de cette ampleur doit servir de catalyseur, et on en est loin ! Hormis les travaux au niveau du stade, aucun programme témoignant d’une hype n’a été lancé.
Resserrons, si tu le veux bien, la focale sur ton rôle d’éducateur et ton groupe. Peux-tu nous en dire davantage ?
A mes débuts, j’encadrais pendant 2 ans les U16-1U17 et cette saison, j’ai décidé de redescendre de deux catégories avec l’équivalent des U12-U13. C’est leur première saison à XI et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai souhaité partir sur un nouveau cycle dès ce changement important. Ça permet de suivre une catégorie dès le début pour transmettre les bons réflexes. La bascule est très difficile, donc autant être présent au début de l’accompagnement plutôt que de récupérer un groupe avec de grosses lacunes plus tard.
Pour moi, le foot à XI et celui pratiqué avant sont deux disciplines différentes. Comment fais-tu pour que ton groupe réussisse sans embûche cette transition et intègre, entre autres, ces modifications spatiales et les efforts physiques que cela demande ?
Quels sont les supports qui permettent d’accélérer leur progression ? J’ai instauré une routine hebdomadaire avec une session en ligne. Tous les mardis soir pendant trente à quarante minutes, on échange soit sur le dernier match qu’on a eu, soit sur un thème particulier en mode tableau noir.
Comme je te l’ai dit, je mets en place un 3-4-3 qui est une formation très ambitieuse. Du coup, les premières sessions étaient dévolues à une acculturation de ce schéma tactique. Pour les maintenir en éveil, je projetais des images de pros pour qu’ils s’identifient aux rôles qu’ils devront occuper à l’entraînement et en match.
En parallèle, j’ai créé un support méthodologique théorique qui reprend l’intégralité des attentes pour chaque joueur, le tout agrémenté de vidéo illustrative toujours pour le côté ludique.
On dispose également d’une application pour échanger avec les parents et les joueurs. Via ce canal, je les alimente entre deux séances de contenus pour parfaire leur progression, avec essentiellement des images de Premier League, le championnat qu’ils suivent tous assidûment.
Quel est le niveau d’assiduité et d’adhésion de ton groupe à ces rendez-vous pédagogiques ?
C’est une belle surprise et une source de motivation pour moi afin de garder le rythme, car la majorité des joueurs sont présents. Et pour les absents, une session de rattrapage est toujours possible car le contenu est posté sur ma chaîne YouTube (insérer le lien de la chaîne).
Le schéma du 3-4-3 est celui que tu avais déjà mis en place auparavant ou c’est une innovation depuis le début de cette nouvelle saison ?
C’est une nouveauté qui résulte d’une adaptation structurelle. Le groupe n’était pas composé de beaucoup de défenseurs, du coup, plutôt que de repositionner certains joueurs, j’ai décidé de m’appuyer sur les ressources en ma disposition et de capitaliser sur les points forts de mes joueurs.
Ce projet de jeu est-il défini par le directeur technique ou les éducateurs ont-ils la liberté de piloter leur groupe comme ils le souhaitent ?
Il y a un projet de jeu global, mais aucune imposition de système.
Tout ce travail technique et pédagogique est chronophage. Tu le fais à temps plein ou en marge de ton travail ?
J’aimerais pouvoir en faire mon travail à temps plein, en toute sincérité, et c’est un objectif assumé que je me fixe, mais à ce jour, je travaille pour subvenir à mes besoins et à ceux de ma famille.
L’un des objectifs du Mag de l’Educateur est de montrer la partie émergée de l’iceberg et le travail énorme réalisé par tous les éducateurs en marge des entraînements et rencontres. À combien de temps estimerais-tu le travail hebdomadaire que cette responsabilité demande ?
Suffisamment pour recevoir des remontrances de ma femme (rires). À vrai dire, je n’ai jamais fait un décompte précis, mais de façon générale, je dirais environ dix heures minimum par semaine.
Quelles sont tes ambitions à court, moyen et long terme ?
Je ne me fixe pas d’objectifs particuliers à court et moyen terme, mais seulement une cible à long terme : devenir entraîneur professionnel. Je sais qu’il y a davantage d’opportunités en Amérique du Nord, donc j’essaie de capitaliser au maximum sur le développement du soccer. Être originaire d’Europe est également un avantage et une caractéristique recherchée.
C’est une nouveauté qui résulte d’une adaptation structurelle. Le groupe n’était pas composé de beaucoup de défenseurs, du coup, plutôt que de repositionner certains joueurs, j’ai décidé de m’appuyer sur les ressources en ma disposition et de capitaliser sur les points forts de mes joueurs.
En Amérique du Nord, dans les autres disciplines sportives, les staffs techniques ont une forte appétence pour les données. C’est peut-être un peu tôt pour ta catégorie, mais est-ce un secteur sur lequel tu souhaites renforcer tes compétences ?
Effectivement, c’est un peu tôt pour mes catégories, mais comme j’enregistre toutes les rencontres avec la VEO, je peux m’appuyer sur les bienfaits de l’intelligence artificielle pour récolter des données des rencontres. Cela me permet d’illustrer mes propos lors de mes sessions en ligne. L’une des données les plus importantes pour moi et mon projet de jeu, c’est le nombre de passes consécutives.
À titre personnel, quels sont tes ressources pour t’enrichir sur le plan humain et footballistique et t’accompagner dans ta montée en compétences ?
Énormément de contenus sont disponibles sur les réseaux sociaux et les livres. Je dois finir la lecture de « La Pyramide Inversée » et celui de Pep Lijnders, l’assistant de Klopp.
J’écoute également beaucoup de podcasts anglophones qui traitent de la tactique, des projets de jeu et du management.
Quel(s) conseil(s) donnerais-tu à une personne qui souhaiterait, comme toi, tenter l’aventure du soccer outre-Atlantique ?
Fonce et ne te dis surtout pas « je le ferai plus tard » ! Si tu n’as pas de contraintes professionnelles ni familiales, c’est une occasion en or. Ne te dis pas que tu pourras le faire plus tard, ce n’est pas vrai, bien au contraire : plus tu avanceras dans ta vie pro/perso, moins tu auras le cran de franchir le pas. Il faut bien faire un reset sur l’organisation en France, être patient et ouvert d’esprit. Si tu arrives avec humilité et tous les ingrédients que j’ai décrits, tu réaliseras une belle recette et la mayonnaise prendra à coup sûr !
Interview réalisé par Rafik
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