Le football, un sport qui rassemble
Le football est vecteur de partage, d’entraide et de cohésion, et les valeurs qui s’y rattachent sont au service du collectif aussi bien que du développement personnel de l’individu. Faire du ballon rond son moyen d’expression n’est donc pas dû au hasard.
En effet, que l’on soit enfant ou adulte, la pratique du sport collectif c’est avant tout l’échange entre ami-e-s, c’est faire partie d’un groupe, d’un club, d’une famille avec laquelle on sera amené à vivre des moments forts. Apprendre à jouer ensemble, à s’amuser, à construire pour créer une synergie permettant de remporter des challenges et ainsi renforcer ce sentiment d’appartenance à une équipe.
Ce processus ne va pas de soi, il est au contraire coconstruit grâce à tous les protagonistes engagés dans ce groupe : joueurs, entraîneurs, éducateurs, supporters… Chacun a, en effet, un rôle à jouer et une place à tenir pour que la réussite soit l’aboutissement de ce projet sportif.
Pour autant, depuis plusieurs années, le milieu du football amateur voit s’amplifier une nouvelle problématique au sein des clubs, celle-ci souvent niée dans les médias, est une réalité qui met à mal tout le travail et l’engagement des éducateurs dont le rôle a grandement évolué avec le temps. Si la violence des supporters a toujours existé dans le milieu du football du fait de la singularité de ce sport populaire appréhendé comme étant « l’opium du peuple », il n’en demeure pas moins que celle-ci a pris une autre tournure dans le monde amateur.
La violence dans les tribunes
Les clubs sont en effet de plus en plus confrontés à la violence de leurs propres supporters et cela concerne toutes les catégories d’âges ! U6, U10 ou U16…Aucune différence quand il s’agit de répertorier les incidents de match. Si les entraîneurs ont toujours connu les assauts et remarques du fait de leurs choix tactiques, ils sont dorénavant témoins de faits de violence verbale et physique pendant et hors des temps de jeu. Bien qu’ils en soient souvent la cible, ils ne sont pas les seuls à subir cet acharnement : arbitres et joueurs sont tout aussi touchés par ces comportements houleux.
Cette agressivité n’est pas nouvelle, on entend parler depuis plusieurs décennies de ces faits dans le monde professionnel et amateur, mais cela concernait jusqu’alors des catégories d’âge adulte. De nombreuses campagnes ont vu le jour, sous l’égide de la FFF pour tenter d’enrayer ces phénomènes de violences quotidiennes dans les stades, à l’instar de celle concernant les arbitres dont le slogan reste toujours dans les mémoires « on n’a pas le même maillot mais on a la même passion » !
Pour autant, la violence, loin d’être enrayée, perdure mais ce qui interpelle c’est le profil des supporters incriminés, la récurrence de ces situations et ce tabou qui entoure ces dérives belliqueuses pourtant dénoncées par de nombreux collaborateurs.
Les éducateurs ont un rôle très important et leur statut a toujours été respecté dans les collectivités. Pourquoi ? Parce que ces derniers ont toujours été les garants d’une transmission de valeurs telles que le respect, l’intégration, l’éducation…et cela ne concerne pas seulement le sport mais bien la vie en société. Beaucoup de jeunes ayant un parcours scolaire ou familial chaotique ne sombrent pas grâce au sport et au travail effectué par leur coach. Or, cette relation de confiance mutuelle tend à s’effriter du fait d’une perte de repères, d’un changement de paradigme en termes d’autorité et d’éducation mais aussi d’une banalisation de la violence au niveau sociétal. Les présidents de clubs, les éducateurs, les bénévoles qui sont aux premières loges… Sont nombreux à tirer la sonnette d’alarme pour dénoncer ces faits synonymes d’une régression autour des valeurs de respect et de cohésion.
Cette réalité s’observe de plus en plus sur les terrains et certaines fédérations sont même obligées de prendre des mesures fortes pour dénoncer ces actes et tenter d’enrayer cette violence. En 2019, le District du Maine et Loire a mis en place une campagne de sensibilisation à destination des clubs intitulée « Supporter, c’est respecter ». Le 13 avril 2022, c’est l’Athletic club Boulogne Billancourt qui a supprimé toutes les séances d’entraînement de toutes les catégories d’âge pour dénoncer les violences physiques et verbales des parents de jeunes joueurs.
Je pourrai citer ici encore des dizaines d’exemples et de faits similaires tant ils sont nombreux sur notre territoire !
Les techniciens du monde amateur sont devenus des sentinelles de la violence dans le milieu du football mais leur voix ne semble pas entendue ni prise au sérieux alors même qu’ils pointent du doigt de nouveaux agissements néfastes pour le collectif.
Le profil des supporters
La véhémence dans le milieu du supporterisme n’est pas une nouveauté, mais ce qui interpelle aujourd’hui c’est le profil des agresseurs et les allégations retenues pour les justifier.
Dans le football, c’est à partir des processus d’identification et de partisannerie que les groupes se constituent entre eux et en opposition aux Autres. Et c’est ce sentiment idéologique de confrontation qui explique les comportements identitaires qui peuvent conduire à la violence. La violence langagière que j’ai eue l’opportunité de pouvoir étudier dans le cadre du supporterisme pendant plusieurs années s’inscrit dans cette logique. Celle-ci est donc structurellement explicable.
Or, celle qui émerge dans le monde amateur semble répondre à un tout autre schéma.
En effet, les principaux investigateurs sont souvent les parents venus encourager leurs enfants. Parce qu’ils s’identifient au club, ils n’hésitent pas à invectiver les éducateurs sur leurs choix tactiques et les faits de jeu, notamment lorsque leur enfant n’est pas titulaire, ou que celui-ci a été appréhendé suite à un problème de comportement. Nombreux sont ceux qui sont confrontés à cette violence verbale ; certains osent en parler comme Fabien Marie, responsable technique des U13, U15 et U17 au Sarreguemines Football Club qui expliquait en février 2019 que les insultes comme « connard, enculé, t’es nul ou encore fils de pute » étaient monnaie courante !
Beaucoup d’éducateurs ont le sentiment d’avoir perdu la maîtrise sur et en dehors des terrains et ont du mal à concevoir que des adultes puissent se comporter ainsi en présence des enfants bafouant ainsi tout le travail de pédagogie effectué en amont. Les parents se donnent en spectacle et participent pour certains à légitimer la violence dans les stades que ce soit auprès de l’équipe adverse, de leurs propres enfants, du personnel du club ou encore des arbitres ! A la violence verbale devenue presque systématique dans les tribunes, il faut ajouter les conflits, dérives et agressions physiques entre spectateurs.
Aussi, certains clubs doivent dorénavant gérer les parents en plus des enfants !
C’est une perte de sens à laquelle nous sommes en train d’assister et ce à différents niveaux : les entraîneurs se voient pour beaucoup dépossédés de l’essence même de leur job à savoir leur libre-arbitre et le football plaisir n’est plus le maître mot dans la bouche de nombreuses familles.
Les techniciens de clubs amateurs prennent de plus en plus la parole pour dénoncer cette pression de la part de parents ayant contraint leur enfant à s’inscrire au football dans l’espoir de faire de ce dernier un prodige au même titre que le phénomène des mini miss aux Etats Unis. Le football est alors vu comme une opportunité d’ascension sociale mais aussi de marchandisation… En juin dernier, Frédéric Meyrieu, ancien joueur professionnel, aujourd’hui formateur au RFC Toulon, expliquait dans les colonnes du journal Ouest France qu’un « parent qui va voir un reportage du papa Mbappé s’occupant de son fils de A à Z s’identifie. Mais ce n’est pas le reflet de ce qui se passe : des Mbappé, il y en a 1 sur un million ! ». Même son de cloche pour Thomas Prigent, éducateur au cercle Paul Bert à Rennes qui relate que « beaucoup de parents rêvent que leur enfant soit le nouveau Mbappé, qu’il les rende riches. Ils sont dans la réussite par procuration. Certains paient un coach individuel pour un enfant de moins de 10 ans… ». Et le plaisir dans tout ça, où est-il passé ? Que reste-t-il des valeurs du football et du sport en général ? L’individualisme serait-il en train de tuer à petit feu le collectif ?
Ces situations devenues récurrentes affectent grandement le monde du football amateur mais restent symptomatiques d’une société de plus en plus en proie à la banalisation de la violence et du harcèlement. Le parallèle pourrait d’ailleurs être fait avec le domaine scolaire, où de nombreux enseignants sont pris à partie par les parents d’élèves, insultés voire frappés dans l’exercice de leur fonction.
Le monde amateur est aussi gangréné par cette vision du sport business qui prend de plus en plus le pas sur le jeu, et les valeurs initialement défendues autour du collectif. Il n’est pas un monde à part, il est une passerelle vers le football professionnel, il l’alimente en lui offrant des pépites qui seront les grands joueurs de demain.
Le dysfonctionnement actuel repose sur le fait que c’est le monde professionnel qui donne le rythme dans une société où tout va de plus en plus vite, où les enfants sont repérés de plus en plus tôt et pris en charge par un système de plus en plus complexe. Les parents comme les jeunes joueurs veulent saisir leur chance et avoir la main mise sur leur destin en essayant de s’approprier des codes d’un milieu qu’ils ne maîtrisent pas. Isaac Kitambala analyse ce phénomène et explique qu’il serait souhaitable d’informer les parents afin qu’ils aient les clefs pour comprendre ce à quoi eux et leurs enfants vont être confrontés en cas de réussite (les déplacements, l’entrée en centre de formation, la gestion de carrière par un agent, la signature de contrat…). Informer pour intégrer les parents au lieu de les renvoyer à leur ignorance, afin que chacun trouve sa place et son rôle, pourrait en effet être l’une des solutions.
Sensibiliser, communiquer, sanctionner
Au vu de l’ampleur du phénomène, beaucoup de clubs ont fait le choix d’agir soit en faisant des opérations coup de poing (annulation de matchs, grève des éducateurs …), soit en apposant à l’entrée de leur stade des plaques ou des affiches pour sensibiliser les parents sur la thématique de la violence. Voici par exemple les mots choisis par le FC Raismes : « Papa, n’oublie pas…je ne suis qu’un enfant, ce n’est qu’un sport, je suis là pour m’amuser, c’est nos amis, c’est mon match, l’arbitre est un être humain, ce n’est pas la coupe du monde. Je t’aime papa ». Nombreux sont les clubs à utiliser ce type de communication pour dénoncer et faire prendre conscience aux parents du danger d’un tel comportement.
Autre exemple, en 2022, le district de Haute Garonne, a décidé de médiatiser ce phénomène de violence en créant un clip de sensibilisation et en lançant le mouvement « Touche pas à mon foot ».
Les actions de ce type sont pour l’instant trop récentes pour que l’on puisse savoir si elles ont un réel impact au sein des clubs. Ces initiatives sont des actes isolés, décidés en interne pour tenter d’enrayer un phénomène vécu sur une ville, un district, un territoire donné. Mais, aucune campagne de sensibilisation n’a été pensée ou faite à l’échelle nationale par les instances décisionnaires et encadrantes du football, et c’est bien cela le problème ! En effet, les clubs amateurs pâtissent d’un manque de soutien moral et financier pour endiguer ces situations de violence pourtant reflet d’un bouleversement profond. Chacun agit avec ses moyens, et si cela limite les risques, il n’empêche en rien le phénomène de s’amplifier sur tous les stades.
Si la communication est aujourd’hui privilégiée, elle pourrait à long terme se révéler insuffisante ! Mais alors, comment appréhender cette violence et relâcher la pression qui pèse à la fois sur les éducateurs et les enfants ?
Opérer une restructuration importante dans les clubs pourrait permettre de redéfinir le rôle de chacun, en rendant obligatoires les chartes de supporters ou les règlements intérieurs par exemple, avec pourquoi pas des sanctions pour responsabiliser l’ensemble des acteurs. Mieux encadrer mais aussi former et associer les parents qui souhaitent s’investir en leur proposant par exemple d’arbitrer des matchs afin de faire prendre conscience des complexités du terrain. Créer des postes de médiateurs dans les tribunes pour entamer la discussion, désamorcer les conflits…
Des solutions existent et les acteurs du football amateur ont tout à réinventer pour permettre que le sport sorte gagnant de ce chaos. C’est un nouveau défi auquel il faudra faire face mais la seule façon d’y arriver c’est de continuer à échanger, à libérer la parole en dénonçant haut et fort ce qui gangrène le football et la société et met à mal les valeurs de partage, d’union et de fraternité !